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Covid-19 : entraînement martial avec un partenaire

La distanciation physique imposée à tous pour freiner la propagation d'une épidémie pose un problème fondamental aux adeptes de sports de contact tels que les arts martiaux. Faut-il renoncer à tout échange technique entre deux partenaires et se contenter d'une pratique solitaire ? Pourra-t-on alors encore parler d'art martial ? Un style tel que le tai ji quan va-t-il définitivement perdre une composante martiale déjà bien érodée ? Ou bien existe-t-il une planche de salut qui préserverait l'essence de ces disciplines ?

Caractéristiques essentielles de l'art martial

Qu'est-ce qui caractérise véritablement une pratique martiale ?  Est-ce simplement l'application d'un répertoire de techniques à mains nues face à un partenaire ? Si tel était le cas, des mesures de distanciation physique interdisant ce type de pratique entraîneraient inéluctablement un retranchement vers une pratique solitaire ou éventuellement un recours à des accessoires censés prendre la place d'un partenaire.  Pour comprendre à quel point ces options sont insuffisantes, il est important d'énumérer les qualités mobilisées lors d'une opposition entre deux partenaires voire adversaires, au-delà des techniques employées. En voici une liste non exhaustive :

  • la détermination ;
  • le courage ;
  • la vigilance ;
  • la maîtrise des émotions ;
  • la capacité à anticiper ;
  • la capacité à lire une action ;
  • le sens du timing ;
  • le sens du rythme ;
  • la ruse ;
  • la gestion des distances ;
  • la conscience des lignes centrales ;
  • la précision.

Certaines de ces qualités peuvent être développées lors du travail solitaire, en exécutant par exemple des enchaînements codifiés selon une certaine disposition mentale. D'autres demeurent inaccessibles sans un partenaire, qu'il soit coopératif ou non. On comprend aussi que s'entrainer avec des mannequins ou autres accessoires censés représenter un adversaire n'est qu'un ersatz qui risque de conduire à de futures désillusions.

Recours aux armes traditionnelles

Une bien meilleure solution va consister à manier des armes traditionnelles de longue portée telles que le bâton, la lance, ou la perche. Une lance courte mesure environ deux mètres, une lance moyenne trois mètres, et une grande lance quatre mètres. Deux partenaires se faisant face en pointant leurs lances l'un vers l'autre sont donc suffisamment éloignés pour ne pas enfreindre la règle de distanciation physique (espace sans contact au-delà d’un mètre)*. Le port du masque n’est alors pas nécessaire, d'autant plus qu’une activité physique sollicitant le système cardio-vasculaire fait peser une menace d'asphyxie sur celui ou celle qui en porte un. Lors de ce type d'échange technique, l'équipement peut comprendre en outre des protections (casques, plastrons, gants, jambières) ou des embouts (comme de simples balles de tennis) permettant d'entourer la pointe de l'arme.

On constate que l'éloignement imposé à la fois par la portée et la dangerosité de ces armes n'empêche pas de cultiver et expérimenter les qualités énumérées précédemment. Une pratique authentiquement martiale sera donc préservée.

Exemple de la lance chinoise

Le tai ji quan style Chen comprend la pratique d'armes traditionnelles telles que l'épée, le sabre, la lance, la hallebarde, ou la perche. Ces trois dernières sont des armes de longue portée (chang bing) qui pourraient convenir au type d'entraînement décrit précédemment. Ceci est tout particulièrement vrai pour la lance et la perche. Outre la distance séparant nécessairement les deux partenaires, leur stratégie repose sur des principes proches de ceux adoptés dans la pratique des mains collantes (tui shou). Notamment, le principe d'adhérer-coller (zhan nian) est commun aux deux pratiques. Dans le travail des mains collantes, il va s'agir de maintenir le contact avec le partenaire de façon à lire ses actions et les transformer à notre avantage. Avec une lance, ce principe va consister à prendre contact avec la lance adverse (quand elle pique par exemple), à faire glisser la hampe jusqu'à rapprocher la pointe de la main avant du partenaire, puis à riposter.

Un point important pour les pratiquants habitués aux enchaînements codifiés de lance mais pas à l'entraînement face à un partenaire est que son maniement sera nécessairement moins fleuri, plus direct, plus compact, la zone d'action étant essentiellement délimitée par la tête, en haut, les genoux, en bas, et les épaules sur les côtés. Ainsi, le fameux triptyque lan (拦), na (拿), za (扎),  qui correspond à des parades vers l'extérieur, l'intérieur, et à l'action de piquer horizontalement, sera exécuté dans une zone beaucoup plus restreinte que lors du travail des exercices fondamentaux en solitaire (ji ben gong) où des cercles larges peuvent être admis.

Avant de détailler quelques exemples d'exercices codifiés, il est bon de rappeler que, si le travail entre deux personnes munies de lances comporte quelques spécificités dues à la nature même des armes et à la tactique qu'elles imposent, la mécanique corporelle (shen fa) ne doit pas fondamentalement différer de celle cultivée à mains nues. Cette cohérence sera facilitée par la forte solidarité de l'arme et du corps (la première étant souvent soudée au second) qui gouverne le maniement de la lance. Au final, le style devrait nécessairement être reconnaissable avec ou sans arme, car il forme un système cohérent dont les contours et la logique ne peuvent être transgressés.


Placement des partenaires

Pour des raisons de sécurité, les deux partenaires peuvent s'éloigner d'une distance telle que la pointe de la lance qui pique parvienne seulement au niveau du pied avant du partenaire. La pointe de la lance est orientée initialement vers la gorge du partenaire.

travail à deux à la lance du tai chi

Exercice 1 : "trois mouvements de lance rapides" (ji san qiang 急三)

  • le partenaire A pique sur l'intérieur du partenaire B en ciblant son sternum ("lance horizontale à mi-hauteur", zhong ping qiang 中平) ;
  • B fait un mouvement de retrait avec son corps et dévie l'attaque vers l'intérieur sans heurter violemment la lance adverse ;
  • B se rapproche de A en faisant un pas suivi de profil et pique horizontalement en direction du sternum ou de la gorge de A  ("lance horizontale en haut", shang ping qiang 上平).

Remarque : B peut enchaîner trois attaques rapides en alternant l'orientation de ses poignets, ce qui explique le nom de cet exercice issu de la forme de lance du style Chen.

Exercice 2 :  "avancer et écarter l'herbe pour chercher le serpent" (wang qian jin bo cao xun she 往前)

  • le partenaire A pique obliquement sur l'intérieur du partenaire B en ciblant son genou ;
  • B pare obliquement vers l'intérieur en prenant contact avec le milieu de sa hampe ;
  • B fait glisser sa lance sur celle de A en déplaçant le point de contact de son milieu vers la partie proche de sa pointe ;
  • B pique obliquement de haut en bas en direction du genou de A ;
  • A peut alors reculer et parer à son tour vers l'intérieur ;
  • B peut alors profiter de cette déviation de sa lance pour se rapprocher de A en retournant sa lance pour frapper avec le talon.

Remarque : un premier déplacement de la jambe du défenseur permet d'esquiver l'attaque puis un second permet de s'approcher de l'adversaire.

Exercice 3 :  "le chat agile se jette sur le rat" (ling mao pu shu )

  • le partenaire A pique obliquement sur l'extérieur du partenaire B en ciblant son genou ;
  • B pare obliquement vers l'extérieur en sautant sur place pour échanger la place de ses pieds et se réceptionne en pointant sa lance vers la gorge de A  ;
  • B pique obliquement de bas en haut en direction de la gorge de A.

Remarque : le saut est à la fois une esquive et un moyen de s'approcher de l'adversaire à la distance requise.

Ces exercices codifiés permettent déjà d'expérimenter les caractéristiques essentielles listées précédemment, mais les effets seront décuplés en ajoutant un élément de surprise, par exemple sans que le défenseur ne sache quelle action entreprendra l'attaquant. Travailler avec des embouts permettra par ailleurs d'accroître l'intensité des échanges.


Merci à Assad pour sa précieuse collaboration. Retrouvez ses entretiens avec des experts d'arts martiaux et sports de combat sur sa chaîne, l'Entracte Martial.

* A titre d'information, le 15 mai 2020, le ministère des sports a autorisé les fédération d'aikido (FFAAA et FFAB) à proposer des cours en extérieur avec des armes et sans contact physique.

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