Dans ce billet, je vais traduire quelques passages importants d'une conférence donnée à l'université de Pékin par le maître Di Guoyong à partir d'une traduction intégrale en anglais proposée par son élève Byron Jacobs. Cette conférence permet en effet de mieux cerner les contours et la profondeur des arts martiaux traditionnels chinois.
Dans la première partie, quelques éléments biographiques sont donnés sur Di Guoyong, mais je retiendrai surtout la définition qu'il donne d'un art martial traditionnel (传统武术, chuantong wushu). Voici ses caractéristiques :
- une lignée claire et ancienne ;
- des principes théoriques bien définis ;
- des spécificités techniques apparentes ;
- un système global cohérent.
J'illustrerai ces quatre points en prenant l'exemple du taijiquan style Chen, pour lequel il existe des générations de maîtres depuis le XVIIe siècle jusqu'à nos jours, qui s'appuie sur une théorie précise transmise d'abord oralement puis dans des manuels, qui est facilement reconnaissable avec notamment ses enroulements et ses sorties de force, et qui comprend non seulement une pratique à mains nues mais aussi avec des armes ou des accessoires qui forment un ensemble logique.
Dans la deuxième partie, Di Guoyong rappelle que la culture traditionnelle chinoise (中国传统文化, zhongguo chuantong wenhua) est très présente dans les arts martiaux traditionnels. Il cite le concept de yin-yang pour le taiji quan, des cinq agents pour le xingyi quan, des huit trigrammes pour le bagua zhang. Leurs théories respectives, élaborées au fil des générations, s'appuient sur ces notions issues de la pensée chinoise traditionnelle. Di Guoyong, expert en xingyi quan, dont il souligne la rapidité de développement de la puissance du corps entier, compare enfin son art au taijiquan style Chen. En effet, les véritables maîtres de ce dernier ne se contentent pas d'enseigner la forme complète à un grand groupe d'élèves mais entraînent en privé leurs meilleurs disciples à une poignée de techniques répétées inlassablement et dans lesquelles réside la vraie maîtrise.
Dans la troisième partie, Di Guoyong insiste sur l'importance du travail postural (站桩, zhan zhuang), qui constituait traditionnellement un test d'acceptation de l'élève par le maître puisqu'il durait trois ans et précédait l'apprentissage de la méthode complète (ce qu'il ne recommande plus aujourd'hui). Au-delà de la persévérance exigée, ce travail postural permet d'acquérir une structure correcte, qui s'obtient non seulement en adoptant les bons alignements mais aussi en observant ses propres sensations jusque dans les moindres parties du corps. Cette recherche de la structure correcte doit par ailleurs s'accompagner d'un travail de l'intention (意, yi), qui doit évoquer l'attitude déterminée qu'on manifesterait face à un tigre.
Dans la quatrième partie, Di Guoyong développe ses explications sur le travail de l'intention. Tout d'abord, il convient d'observer ses sensations en répondant à ces trois questions :
- où sont-elles dans le corps (avec précision) ?
- que sont-elles (dans chaque partie du corps) ?
- comment sont-elles ?
Il mentionne notamment l'importance de la septième cervicale (大椎, da zhui), dont dépend l'attitude, et cite un précepte du taiji quan : " Ne jamais présenter sa gorge (喉头永不抛, houtou yongbu pao)", qui rappelle l'attitude de protection du boxeur.
Di Guoyong discute ensuite des trois plateaux (三盘, san pan), une théorie commune au xingyi quan et au bagua zhang, qui renvoient à la hauteur de la posture. La position du plus haut plateau s'obtient en abaissant le corps de telle sorte que le sommet du crâne corresponde à la hauteur des sourcils quand on se tient naturellement debout. Celle du plateau intermédiaire consiste à abaisser le corps à la hauteur du nez. Enfin, celle du plus bas correspond à la hauteur de la bouche. Il n'est pas souhaitable d'abaisser le corps davantage. Il énumère aussi trois points importants pour le débutant :
- corriger la structure et la posture (en respectant la théorie des trois plateaux) ;
- bouger de façon fluide ;
- s'exprimer avec le corps entier.
Il explique aussi un principe du xingyi quan qui consiste à écraser avec le pied avant (踩, cai) tandis que le pied arrière appuie (蹬, deng). Au passage, appuyer sur le sol (蹬地, deng di) est une consigne que mon professeur de taijiquan répète souvent.
Dans la sixième partie, il revient encore sur l'intention, qui peut passer par un travail imaginaire, de façon à adopter la juste attitude. Sans intention profonde, pas de maîtrise (功夫, gongfu). A chaque niveau de pratique correspond un niveau de compréhension, de réalisation (悟, wu). Un niveau de pratique avancé conduit à la réalisation supérieure.
La quiétude (安静, anjing) est aussi une qualité nécessaire dans les arts martiaux. Le travail postural permet d'entrer dans l'état mental et émotionnel juste. Di Guoyong rappelle aussi que la santé doit rester une priorité. Sans la santé, les autres aboutissements ne servent à rien.
Dans la dernière partie de sa conférence, Di Guoyong cite une succession de proverbes utiles pour la pratique. Le premier concerne la façon de mener un programme d'entraînement : "en cas de courbatures persévérer, de contractures alléger, d'engourdissement cesser l'entraînement (疼加,酸减,麻不练, teng jia, suan jian, ma bu lian)." Le second proverbe est : "éviter le vent comme on évite les flèches (避风如避箭, bi feng ru bi jian)". Il convient de préférence d'éviter de s'entraîner en plein vent, et au minimum que la brise ne souffle pas dans votre dos. Une autre règle à suivre concernant l'entraînement est : "ni être affamé, ni être repu, ni trop réfléchir (无饥无饱无构思, wu ji wu bao wu gou si)". Et plus généralement, il convient de pratiquer quotidiennement, d'intégrer la pratique à sa vie, et plus on approfondira la pratique, plus on fera de grandes découvertes.
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