Pour enseigner, il faut d'abord être à l'écoute de ses élèves. Avoir à cœur de transmettre un savoir-faire authentique est essentiel également, mais l'écoute permet justement une transmission plus pénétrante. En guise d'illustration, je prendrai pour exemples mes deux derniers cours à Fontenay-aux-Roses.
La semaine dernière, dans le moment informel où chacun arrive dans la salle et se prépare, j'entends une élève se plaindre de douleurs aux genoux. Comme j'insiste régulièrement sur l'importance de préserver ses genoux en respectant certaines consignes, je suis un peu étonné. Elle m'avoue qu'emporter par l'élan des mouvements, elle ne respecte pas toujours ces règles. Je décide alors de consacrer entièrement le cours à cette question. Au début de la séance, je rappelle les consignes et présente de nouveaux exercices mettant l'accent sur la fermeture et l'ouverture des hanches. Ces fermetures et ouvertures peuvent même être assez extrêmes car elles préservent l'alignement des hanches avec les genoux et les chevilles. De là, nous passons à la méthode de transfert de poids du corps d'une jambe à l'autre et au pas ouvrant. Là encore, les mêmes consignes s'appliquent, et la mécanique des aines gouverne ces mouvements. La semaine suivante, j'interroge cette élève sur la santé de ses genoux suite au dernier cours. Elle est ravie : aucune douleur, et ce, malgré des mouvements sollicitant véritablement les jambes.
Cette semaine, après une dizaine de minutes consacrées au travail statique, j'interroge mes élèves sur les zones de leur corps qui nécessiteraient selon eux une préparation spécifique. L'un d'entre eux pense à ses épaules, trop tendues. Je décide alors de construire mon cours sur ce thème des épaules et de la détente. Quelques exercices préparatoires nécessitant un relâchement complet des bras pour exprimer rondeur et vélocité permettent au passage de repérer le réflexe fréquent qui consiste à bloquer, tenir, au lieu de lâcher prise. Nous passons ensuite à un mouvement signature du style Chen, le Gardien céleste pile le Mortier, qui, comme le dit l'adage, est suffisant pour évaluer le niveau d'un pratiquant. Dans mes explications, je mets l'accent sur la détente nécessaire des poignets, des avant-bras, tout en rappelant que la force véritable trouve son origine dans la racine du bras, l'épaule, ou plus précisément l'omoplate, et qu'il est nécessaire de connecter les coudes au tronc. On peut ainsi allier douceur et structure, et si nécessaire faire jaillir soudainement la force après un mouvement lent, continu, souple, et spiralé. Un passage de ce mouvement, dont l'action se nomme liao zhang (撩掌) en chinois, prolonge parfaitement la thématique choisie, puisqu'il demande souplesse, rondeur, détente voire de l'élégance. En revanche, j'insiste sur le fait qu'il succède à un plein qu'il convient d'exprimer sans quoi le geste devient purement esthétique et vide, et que son rôle est aussi de guider le corps pour qu'il se déplace. Cette fois, je ne mentionne pas l'application martiale cachée qui consisterait à envoyer une chiquenaude dans les yeux d'un adversaire. Je la garde en réserve pour ne pas nuire au thème de la séance. L'élève qui a déclenché cette thématique semble ravi à l'issue du cours. Habitué à d'autres activités physiques, il a à la fois accédé à une meilleure compréhension intellectuelle de l'art du tai chi chuan et a pu mettre en place certains principes qui permettent de combiner détente, structure, et ancrage.
Enseigner, c'est donc trouver un équilibre entre les attentes des élèves et le savoir-faire traditionnel à transmettre. Bien souvent, leur questionnement trouve sa réponse dans un point de vue qui n'est pas binaire et qui ouvre le champ des possibles.
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